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09 01 2018

Maladie de Crohn : "Je ne suis plus esclave de mes douleurs"

Maladie
Crohn
Alimentation

Provoquée par une inflammation chronique et une irritation de l’appareil digestif, la maladie de Crohn peut s’attaquer à n’importe quelle partie du tube digestif. L’intestin grêle et le côlon sont le plus souvent touchés, ce qui provoque de fortes douleurs abdominales à la suite d’une prise alimentaire. En 2011, on estimait à 200 000 le nombre de patients atteints par cette pathologie en France.

Jeanne Deumier fait partie de ces victimes. Elle a pourtant réussi à dépasser la maladie en dehors des circuits classiques proposés par la médecine.

Comment ont débuté les symptômes de votre maladie ?

Jeanne Deumier : Des problèmes inflammatoires de peau ne m’alertaient pas plus que ça. J’avais des plaques d’eczéma et des perlèches (lésions cutanées inflammatoires situées à la commissure des lèvres, ndlr). Ce sont des petites ulcérations qui reflètent ce qui se passe à l’intérieur. Puis j’ai eu des problèmes d’articulation de type rhumatisme et je n’avais que 18 ans ! Je me sentais totalement rouillée et extrêmement fatiguée, et ce dès le réveil. Ensuite, le moindre verre de vin ou les repas provoquaient, chez moi, une forme de nausée et d’écœurement. Les médecins cherchaient sans trouver. Tout cela a pris beaucoup de temps.


Pourquoi cette difficulté à trouver. On ne parlait pas assez de la maladie de Crohn en 2011 ?

Je ne pourrais pas dire cela. Pour le moins, lorsque j’ai été diagnostiquée, un 9 septembre, à l’hôpital, mon entourage et moi étions désarmés car nous ne savions pas ce que c’était. Cette maladie n’était effectivement pas très médiatisée. Nous parlions d’une maladie rare. Or, ce n’était pas vraiment le cas car ce sont environ 200 000 personnes en France qui sont touchées, et je ne compte pas toutes celles qui ont ces symptômes sans être diagnostiquées.


« J’étais face à un dilemme, entre le besoin de m’occuper de moi et celui de me couper du monde extérieur »


Lorsque le verdict tombe, que se passe-t-il dans votre tête ?

Le verdict est très violent, pas parce que j’entends « maladie de Crohn », mais parce que je ne comprends pas. Le médecin me parle de maladie chronique à vie sans s’attarder, en me donnant rendez-vous dans son cabinet le lundi suivant. Et ce « à vie » m’a marquée. Je n’avais que 18 ans avec une maladie pour la vie !


À travers votre témoignage on s’aperçoit que c’est une maladie qui vous isole socialement…

C’est une maladie handicapante car tout se passe à l’intérieur, rien ne se voit, et les autres ont tendance à vous prendre pour une malade imaginaire. Être fatiguée et avoir des maux de ventre appartient à tout le monde. Mais dans le cas de la maladie de Crohn, nous savons que c’est une vraie maladie qui provoque des ulcérations plus graves. Et les autres qui ne peuvent pas imaginer vos souffrances vous comparent à quelqu’un de très fragile. Ce qui isole c’est cette impression d’exprimer quelque chose et de sentir dans le regard des gens une incompréhension.


En même temps il semblait compliqué pour vous de dire que vous étiez malade…

J’étais très sociable et fêtarde, et lorsque vous vous retrouvez démunie et affaiblie, il devient compliqué d’expliquer sans cesse pourquoi vous n’allez pas sortir boire un verre ou manger au fast-food. Ensuite, j’étais complètement perdue et je n’arrivais pas moi-même à répondre aux questions qui pouvaient se poser. L’origine de cette maladie étant encore inconnue, il était compliqué de se raccrocher à quelque chose. J’étais harcelée par mes propres questionnements.


Comment faire, lorsque l’on a 18 ans, pour trouver un compromis entre sa tête qui a envie d’une alimentation facile et son corps qui la refuse ?

Ce qu’il faut bien comprendre, dans cette maladie, c’est qu’à chaque fois que vous mangez ou buvez quelque chose, vous la déclenchez. Ensuite, justement, il n’y a aucun compromis et ce livre m’a permis de raconter de quelle manière, année après année, j’ai fini par trouver cet équilibre. Mais au départ, tout était chaotique. J’étais exaspérée par cette maladie, je n’avais pas envie d’écouter les signaux de mon corps. J’avais juste envie qu’il se calme par lui-même.


Arrivent alors les premiers traitements médicaux, et là, c’est magique…

Ah oui, la cortisone, c’est magique ! (sourire). Non seulement c’est un excitant ce qui, face à mes fatigues permanentes, me ravissait, mais sa puissance d’action fait taire tous les symptômes d’un coup en quelques jours. J’étais à peine malade que je voyais déjà le bout du tunnel et je croyais très fort à ce traitement. Il avait réponse à tout.


À quel moment la magie retombe ?

C’est un traitement pyramide qui a des effets secondaires. On m’expliquait qu’il ne fallait pas utiliser ce traitement à long terme et qu’il était impératif de diminuer les doses progressivement. Mais ma confiance était aveugle. Sitôt que l’on baissait les doses, les symptômes revenaient. La cortisone était une forme de masque qui soignait des symptômes mais n’allait pas au cœur du problème. Ensuite nous sommes passés à un deuxième traitement, immunosuppresseur, que je tolérais très mal et qui me donnait encore plus de nausées. J’avais alors presque 20 ans et cela devenait ingérable pour moi. J’ai voulu persister et ma gastro-entérologue m’a parlé d’un troisième traitement.

Et justement, ce traitement, vous le refusez en une seconde. Qu’est-ce qui se passe ?

Au cours de ces traitements je commençais à me poser de plus en plus de questions, car je savais que je me nourrissais très mal et je voyais bien que ma fatigue était aussi une conséquence de mon mode de vie. Je n’étais pas forcément dans le vrai et le bon pour moi. Au moment où l’on m’a proposé ce troisième traitement, encore plus lourd, avec des rendez-vous réguliers à l’hôpital, m’installant dans une dépendance qui m’angoissait, on m’a demandé de ne plus m’exposer au soleil. Or, je suis Bretonne, j’ai grandi au bord de la mer, et le soleil c’est ma vie et c’est, pour moi, la vitamine D. Cette connexion avec la terre et la mer, c’était pour moi l’essence de la vie. J’ai dit « non », je me suis levée et je suis tombée nez à nez sur un de ces distributeurs de sucreries. J’ai ressenti un profond malaise. Je ne comprenais pas ce que faisaient ces produits dans un service hospitalier, et plus encore de gastro-entérologie !


Et là vous allez dans votre réfrigérateur et vous décidez de lire les étiquettes de vos produits préférés…

J’ai pris ma crème au caramel préférée et j’ai lu. J’ai pris conscience que je ne savais pas ce que je mettais dans mon tube digestif. Je ne voyais que des colorants et des mots que je ne comprenais pas. Je n’avais jamais fait ça et c’est aberrant de se dire que presque personne ne pense à le faire. C’était en 2012. J’ai alors découvert une chaîne de restauration belge spécialisée dans une cuisine saine. C’était pour beaucoup austère et certainement éphémère. J’ai fini par y aller tous les jours. Et c’est là que j’ai beaucoup appris, en particulier à lire des étiquettes.


Un des premiers ingrédients que vous supprimez, c’est le gluten

Je ne savais même pas ce qu’était le gluten. Je suis allée voir en cachette une naturopathe qui m’a révélé que mon foie était encrassé et que j’étais enflammée. Elle m’a engagé à retirer le gluten que j’avalais, à cause d’une consommation uniquement industrielle, en quantités astronomiques. Aujourd’hui je le réintroduis doucement car je n’ai pas d’intolérances. Comme je ne consomme plus de produits transformés, je l’absorbe en petites quantités, et je me suis tournée vers des produits bruts et de qualité.


« Je me suis aperçue que toute la base était là, au cœur de mon alimentation »


Le premier bilan, vous le faites au bout de trois mois. Que se passe-t-il ?

C’est indescriptible et presque vexant et effrayant d’avoir ce sentiment de passer pour une espèce de gourou alimentaire lorsque j’en parle. Je me suis aperçue que toute la base était là, au cœur de mon alimentation. Je me suis rendu compte que j’avais, avant, un besoin de me remplir sans jamais être bien. En changeant d’alimentation, je me suis rendu compte qu’elle pouvait être ma partenaire et non plus mon ennemie. Je n’étais plus esclave de mes douleurs. Ma plus grande victoire, c’est l’énergie qui revient et l’envie de me lever le matin. Pour moi, c’est une révolution.



Ce changement d’alimentation a eu un impact sur votre vie sociale ?

J’avais 20 ans lorsque cette prise de conscience s’est imposée. J’étais étudiante et évidemment je ne pouvais pas aller en week-end d’intégration où je sais que nous allions finir tous alcoolisés très rapidement. Je ne pouvais pas fréquenter les fast-foods comme la majorité des gens de mon âge. Nous devions être trois à ne pas fumer. Donc oui, je me sentais très facilement isolée et je m’excluais toute seule, même si cela ne m’a pas empêché de me faire des amis. Au départ c’était extrêmement violent et tout le monde se posait des questions. Lorsque j’essayais d’expliquer, je passais pour une extrémiste. J’étais face à un dilemme, entre le besoin de m’occuper de moi et celui de me couper du monde extérieur.

« Aujourd’hui je ne sais plus ce que c’est que d’avoir mal au ventre »


Comment allez-vous aujourd’hui ?

Je vais très très bien, à tous les niveaux. Avec cette hygiène de vie depuis des années, j’ai vraiment réussi à trouver un équilibre. Je ne sais plus ce que c’est que d’avoir mal au ventre. Mon traitement aujourd’hui, c’est mon alimentation, mon sommeil et ma gestion du stress et des émotions. Je fais attention et je fais beaucoup d’activité physique. Avec cette expérience, j’ai appris à particulièrement bien connaître mon corps. Et puis avec la démocratisation des bars à jus et autres lieux de bonne alimentation, j’ai fini par me sentir moins seule !

Interview réalisée par Florent Lamiaux


+ Diagnostiquée Crohn de Jeanne Deumier (Éditions Flammarion).

Crédit photos : Astrid Di Crollalanza - Flammarion

Son site internet : https://www.jeannedeumier.com/

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