Homard 2048
15 05 2018

Baptiste Denieul écrit son histoire

Chef
Gastronomie
Michelin

C’est la musique qui inspire la cuisine de Baptiste Denieul. Ce jeune homme d’à peine 26 ans est le plus jeune étoilé Michelin 2017. Après avoir repris la crêperie de ses parents pour en faire une adresse gastronomique, Baptiste déroule son histoire qu’il souhaite longue et encore pleine de (bonnes) surprises. Rencontre au sommet avec un homme simple mais ambitieux.


Comment êtes-vous venu à la cuisine ?

Baptiste Denieul : Mes parents avaient une crêperie à Guer. Leur restaurant était ouvert 6 jours sur 7. J’ai grandi avec cette valeur là du travail. Nos sorties c’était pour aller au restaurant et c’était, pour moi, un vrai moment de bonheur et quelque chose de très valorisant. Après un parcours scolaire plutôt moyen, j’ai choisi ce métier pour la fierté qu’il représenterait autour de moi. Au fur et à mesure de ma formation, j’ai vu le bonheur de mes parents. Ils me proposaient de réaliser de nouvelles recettes de crêpes. Alors que j’avais été un adolescent turbulent, je voyais mes parents qui s’intéressaient à moi et me faisaient confiance. Je me suis alors donné à 100% dans ce métier. A 15 ans j’ai voulu travailler dans les plus grandes maisons, Alain Ducasse, Éric Fréchon et quelques meilleurs ouvriers de France. Lorsque j’ai eu 22 ans, mes parents, fatigués, ont voulu vendre leur affaire. Depuis mon adolescence je m’imaginais reprendre leur restaurant et décrocher une étoile. J’ai alors proposé de la racheter. Tiegezh, le nom de notre auberge, signifie la famille et l’énergie de celle-ci à été très importante pour moi et a créé une véritable identité dans ce lieu. J’ai réussi à ouvrir les pages de ma vie et à écrire la préface. A présent j’ai toute une histoire à imaginer autour de ça.


Vous vouliez dès le début dépasser la crêperie d’origine ?

Il n’y avait pas de chefs étoilés autour de chez nous et mes parents pensaient que faire du gastronomique ne fonctionnerait jamais. Je ne voulais pas écouter mes parents qui me conseillaient de reprendre la crêperie et de la faire évoluer par étapes. Je ne le sentais pas comme ça. Au départ nous avons fait des plats gastronomiques à petits prix pour faire connaître ma cuisine. Si j’ai revu à la baisse mes produits, je n’ai jamais changé d’objectifs. Je ne suis jamais découragé et j’ai toujours rassuré ma mère. J’ai travaillé dur, je pense avoir été sincère et je n’ai jamais triché dans le but d’obtenir une étoile. Un jour je sais que j’ouvrirais aussi un hôtel car c’est important pour moi de recevoir. Lorsque l’on est convaincu des choses, il ne faut pas avoir peur de prendre des risques.

Baptiste Denieul


La création d’un lieu et la cuisine, ça raconte automatiquement une histoire pour vous ?

Il y a une époque on disait : « c’est une bonne cuisine » et le chef suivait strictement ses recettes, Aujourd’hui on voit des autodidactes et des très jeunes chefs s’installer. Ils sont à la recherche d’émotions, d’expériences et c’est à chacun de créer un lieu, une cuisine, un service qui va vers ces expériences et qui va raconter une histoire. Nous sommes tous des bons cuisiniers. Ensuite serons-nous capables d’écrire nos expériences… c’est une autre histoire.


C’est quoi une écriture culinaire ?

C’est être emprunt et convaincu de quelque chose. Paul Bocuse disait : « il n’y a pas de cuisine moderne ou classique, il n’y a que de la bonne cuisine ». Que l’on sache faire un jus de viande ou pas, nous sommes cuisiniers. Les uns réaliseront une cuisine qui nécessitera un jus de viande et il se l’imposera et les autres n’auront pas besoin de cela. L’essentiel, c’est que le client ressente une émotion. Nous n’allons pas chercher la même cuisine dans tous les restaurants. Aujourd’hui nous parlons plus d’émotions que de bonne cuisine. Tous les partis pris du service à la cuisine fait qu’une maison est merveilleuse. Je m’efforce à trouver ce qui va déclencher chez mes clients un « Ah !, je n’avais jamais vu ça ! ».


Justement, quelle est l’histoire que vous voudriez écrire ?

Je veux créer une maison. Je ne veux plus être un restaurant. A partir du moment où l’on y dort, on ne voit plus les choses de la même façon. On va pouvoir préparer un client à son repas dès qu’il entre dans sa chambre. Ce peut être un passage par la cave ou faire de son petit déjeuner une continuité de ce qu’il a diné la veille. J’aime l’idée de la continuité d’une émotion. L’humain est primordial car c’est très valorisant. Dans mon parcours, chaque fois que j’ai travaillé avec un chef, j’ai du m’adapter à sa personnalité et à ses goûts car certains chefs ne supportent pas la différence. Pourtant, je suis très heureux de collaborer avec quelqu’un qui écoute une musique différente de la mienne ou qui a une autre culture. Nous apprenons énormément de l’humain et d’être à l’écoute fait progresser. Je ne me fais pas appeler « chef » en cuisine car je pense que ce n’est pas utile pour être entendu.


Avec tout ça, comment qualifiez-vous votre cuisine ?

Ce qui peut choquer mon équipe, c’est que je ne vais pas m’arrêter à une meringue qui n’est pas droite ou un plat hyper symétrique. Ce n’est pas que je ne suis pas dans le détail, mais je suis dans la sincérité et je trouve que tous ces anti détails créent de l’émotion. Une ciboulette qui n’est pas ciselée carrée va apporter quelque chose dans un plat. On raconte quelque chose à travers une vaisselle ou encore en épurant totalement une assiette. Je préfère rajouter deux plats et épurer mes assiettes. J’apporte un vrai détail à la cuisson. C’est important pour moi que la cuisson soit juste. Un jour, dans un restaurant, j’ai constaté à chaque plat un manque de sel, puis au dessert, un manque de sucre. Mais j’ai finalement compris que la perfection était là. Je venais de manger ce que le chef pensait être l’assaisonnement le plus juste. Sa sensibilité et sa cuisine étaient cohérentes du début à la fin du repas. Etre un ton en dessous de tout pour équilibrer une suite de mets, c’est, pour moi, une forme d’excellence.

dessert chef baptiste denieul


Votre cuisine s’inscrit donc plutôt dans le charme et le caractère ?

C’est compliqué de définir son travail car nous ne sommes jamais client de sa propre cuisine. Je n’envoie pas une tomate parce qu’elle est belle, mais parce qu’elle est bonne et parfaitement cuite.


Comment avez-vous réussi à séduire le guide Michelin ?

Je n’en sais rien. C’est un guide beaucoup plus ouvert qu’on ne le pense. Certains chefs disent qu’il a changé, que c’était plus compliqué avant… Mais c’est une vision du monde qui laisse toujours entendre que c’était toujours mieux ou plus exigeant avant. Au final, l’étoile vient couronner une notion de sincérité et d’émotion. Aujourd’hui les gens attendent quelque chose de différent de la restauration. Les chefs ont personnalisé l’univers culinaire. Il y a une course à la créativité et le guide Michelin entend cette évolution et c’est normal. Les inspecteurs sont plus jeunes et ont peut-être une vision plus moderne de la cuisine. Je ne sais pas si il existe des critères Michelin. Je ne sais pas si j’aurais un jour une autre étoile ou bien si je perdrais celle-ci.


Etre le plus jeune chef étoilé du Michelin 2017, c’est une fierté, une tension ou un challenge ?

Au tout début, l’annonce a provoqué une très grande peur. Avant l’étoile on aime ce que l’on fait et on se dit que l’on mérite une étoile (sourire) et puis une fois qu’on vous l’annonce on a le sentiment que tout ce que l’on fait est nul et à chaque plat, on se demande si ça vaut une étoile. Et puis j’ai eu la chance d’entendre ma femme me dire qu’elle était fière d’envoyer mes plats en salle. Elle m’a dit aussi que ma cuisine me ressemblait et aujourd’hui j’ai juste envie de faire une cuisine qui me ressemble. A trop écouter tous les sites critiques et comparatifs de restaurants sur internet, on en oublie d’être soi-même.


Avez-vous le sentiment d’être très mature ?

Je ne sais pas si c’est de la maturité, mais je suis à l’écoute des grands chefs. Je suis passionné à 100% par ce métier et ma vie, sans jamais avoir la prétention de tout savoir. J’écoute mes erreurs et c’est ce qui me fait grandir. Lorsque je mange chez un confrère, je ne me dis pas « il faut que je fasse pareil ». Mais je suis admiratif d’une idée et je me dis « il faut, moi aussi que je trouve des idées différentes ».

Interview réalisée par Florent Lamiaux

+ http://aubergetiegezh.fr

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